Le point de félicité, David Fortems

Lettre Zola n°15 - avril 2025 Le personnage principal de ce récit est parfaitement inséré et vit de sa passion. Mais en avril 2023, il rencontre Reda, un homme qui lui fait découvrir le chemsex (la pratique de la sexualité sous drogues). En quelques semaines, il sombre dans la dépendance. Comment s’en sortir et retrouver sa liberté perdue ?

Lettre Zola
27 min ⋅ 29/08/2025

1. La mort en traces

On dit souvent qu’on « tombe dans la drogue ». David n’est pas tombé. David a trébuché.

Entre la première et la dernière conso se sont écoulés huit mois que David a vécus, déstabilisé, dans l’espace incertain entre le rattrapage et la chute. Pendant ce long moment comme en suspens, les autres autour de lui, à la fois proches et impuissants, ont vu la scène au ralenti – un être aimé sur le point de tomber. Puis, par un miracle ou quelque chose de cet ordre, il a retrouvé l’équilibre, une stabilité précaire. Un sursis sur une plaque de verglas.

Ce qui suit est la dissection d’un geste de survie. Une tentative d’épuisement des facteurs qui mènent à la chute et une exploration du chemin au bout duquel on se relève libre.

Pour David, se livrer n’est pas simple. Dans le café où nous nous retrouvons, il n’enlève pas sa doudoune alors qu’à l’intérieur il fait bon ; ses mains sont serties de mitaines noires adolescentes. Il me raconte, le regard fuyant, que parler de ça lui fait peur. J’imagine en effet qu’évoquer son rapport au « chemsex » – mot-valise anglais désignant la pratique du sexe sous stupéfiants – ne doit pas être simple, mais il m’arrête avant même que j’aie pu formuler cette pensée à voix haute. Parler des faits, il faut le faire, il faut que ça sorte, que les autres comprennent, qu’ils envisagent les risques ; cette partie- là ne présente pas de problème. C’est l’assimilation qui l’effraie. Il ne veut pas devenir un référent, un porte-parole. Il a peur, en tant que personne queer – c’est comme ça qu’il le dit –, d’être réduit à ça, à ces huit mois d’existence dont il ne tardera pas à me faire le récit. Pas envie qu’on lui assigne l’image d’un pédé qui se drogue – un de plus.

Il boit une gorgée d’un matcha dégueulasse, un smoothie de pelouse qui moi-même, de là où je suis, me dégoûte. Cette abomination liquide, toutefois, lui donne comme un coup de fouet, semble raidir le bas de son dos qui d’un coup se redresse.

Tisser un lien avec lui a pris du temps. David est quelqu’un d’occupé, de ceux qui trompent leur solitude en multipliant les sorties. Prendre rendez-vous pour lui présenter mon idée s’est avéré très difficile. Mais ce qui m’a frappé, en le voyant seul à seul, c’est à quel point j’avais du mal à entendre sa voix. Il parlait trop bas pour que ses mots et ses idées me parviennent. La faute, peut-être, aux environnements bruyants dans lesquels je l’invitais. Progressivement, sa voix s’est affir- mée, mon ouïe s’est affinée. J’ai su capter sa fréquence. J’ai su comprendre ce que son timbre pouvait me dire.

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